Kalimera ou plutôt, au revoir!

Lu.
28 déc. 2021
5 min de lecture

Saviez-vous que "Kalimera" veut dire "Bonjour" en grec?

Préparez-vous à dire "au revoir" à ce cher restaurant familial grec du quartier Côte-des-Neiges, à Montréal, qui a su conquérir l'affection et l'appétit d'une clientèle fidèle pendant plus de deux décennies. Oui, vous avez bien lu! Le restaurant Kalimera fermera ses portes le 30 décembre 2021 et fermera le dernier chapitre de son histoire.

Permettez-moi de commencer par vous peindre le portrait de ce restaurant familial, qui, tout comme le merveilleux quartier qu'elle habite, possède une richesse culturelle autant dans son histoire que dans son achalandage qui vaut la peine d'être racontée. #cdn

Permettez-moi de commencer son histoire à partir de l'année où le restaurant fut acquis par ma famille, le 26 janvier 99'.

Throwback à Août 97', la famille Hurtado arrive fraîchement au Québec à partir de Buenos Aires (Argentine). Une p'tite charmante famille de 6, composée d'un père argentin (38), d'une mère taïwanaise (36), et d'une fratrie de 4 enfants: mon frère (12), ma soeur (10), ma soeur #2 (4) et moi-même (8). #middlechild

Niveau de français moyen de la famille Hurtado au Québec en 1997: 1%. 
Niveau d'espagnol moyen de la famille Hurtado au Québec en 1997: 100%.
Niveau de mandarin moyen de la famille Hurtado au Québec en 1997: 45%.

Le restaurant Kalimera était alors géré et tenu par une famille grecque; de la cuisine au service en passant par la comptabilité, l'authenticité grecque se faisait voir en toutes parts. Et lorsqu'il s'agit d'une entreprise familiale, il est inévitable que chaque membre de la famille soit multifonctionnel. #truestory

Cette famille grecque a vendu le restaurant (parce que ????), immatriculée depuis 1982, en janvier 1999 à mes parents. Kalimera possédait déjà une clientèle fidèle et attachée à la famille Kalimera-OG.

Ça prend bien une autre famille immigrante pour tenter de continuer cette aventure de folie. Mais Mme Chan ne pouvait pas manquer cette opportunité en or, opportunité que mes parents ont saisi conjointement avec les habitations qui demeuraient au-dessus du commerce, pour y installer leur p'tite charmante famille de 6, aka les futurs employés multifonctionnels de Kalimera 2.0.

Plus immigrant que ça, tu meurs. Plus ingénieux que ça, tu meurs. Non seulement t'habites le sol que tu cultives, mais tu t'alimentes aussi de celui-ci. #genius Entourés de plusieurs choix d'écoles publiques et privées, du service de garde, au primaire à l'université; d'hôpitaux et de services de santé à distance de marche; à des marchés ouverts 24/7, 7/7; un parc d'enfants et d'autres restos multiculturels, nous étions comme des poissons dans l'eau : Bienvenue au quartier Côte-des-Neiges! #cdn

Nous sommes en 1999, soit un an avant le bug de l'an 2000. Mes parents étaient propriétaires de ce qui deviendra un petit restaurant grec simple et familial, une vraie provision du Ciel.

Niveau de français moyen de la famille Hurtado au Québec en 1999: 90%. 
Niveau d'espagnol moyen de la famille Hurtado au Québec en 1999: 100%.
Niveau de mandarin moyen de la famille Hurtado au Québec en 1999: 45%.

Merci Loi 101 :)

La première étape a été d'apprendre les recettes pour garder l'authenticité des plats. Heureusement que l'expérience dans le domaine de la restauration ne manquait pas chez mes parents. (Ils se sont d'ailleurs rencontrés dans un resto ;) ) L'expérience d'un boucher argentin et d'une entrepreneuse taïwanaise (et mère de 4) ont bien suffi pour démarrer Kalimera 2.0.

La deuxième étape était de conjuguer la vie familiale et la vie de travail. La distribution des rôles et du travail de chacun était établi en fonction des capacités et des disponibilités de tous. De jour, nous allions à l'école, et de soir, nous nous alternions les soirées pour le service. À l'adolescence, travailler à un jeune âge nous a appris à nous familiariser avec le monde des finances, mais également a contribué au développement de notre autonomie. Après l'école, on faisait nos devoirs entre deux shifts et pour le souper, nous nous réunissions à la table VIP (la table juste en face de la cuisine) pour manger en famille, une fois les clients partis. Ce n'est jamais facile de mêler business et famille, mais comme on dit: "the bigger the sacrifice, the greater the reward."

La troisième étape était d'essayer de garder la fidèle clientèle des années précédentes, tout en innovant l'entreprise pour gagner des nouveaux clients. Mais pas facile de survivre comme restaurateur sur la rue Gatineau: non seulement la compétition était de taille sur la rue juste en arrière (chemin Côte-des-Neiges), mais aussi il paraît qu'au Canada, particulièrement au Québec, 7 restaurants sur 10 ferment après 5 ans.

Malgré tout, après ces 22 années, je peux vous dire qu'on s'en est sortis pas pire, comme on dit en bon français.

Au fil des années, Kalimera a survécu à une liste de défis de taille, en voici quelques unes:

- Le changement de clientèle

- La discrimination vs l'acception des nouveaux proprios non-grecs

- L'évolution du quartier Côte-des-neiges (if you know, you know) et la mobilité qu'elle a entraîné

- Les nombreuses visites surprises des inspecteurs alimentaires pour voir le respect de la conformité des appareils et des aliments selon les normes de la MAPAQ

- La crise économique 2008-2009 de notre voisin d'en bas (thank you USA) qui a fait entrer tout le Québec dans "La Grande Récession"

- La compétition qui offrait la possibilité de livraison (période pré-UberEats) et qui avaient une visibilité sur le web. Pouvez-vous croire que la livraison à Kalimera a été introduite que dans les dernières 2-3 années? Pouvez-vous croire #2 que Kalimera n'a jamais eu un site internet?

- L'éternel défi de trouver un stationnement

- L'introduction de "l'uniforme Kali"

-La construction de la tour résidentielle d'à côté

- L'abandon de "l'uniforme Kali"

- Les partys d'initiation de l'Université de Montréal (anciennement HEC) à chaque début d'année scolaire, qui duraient toute une fin de semaine, de 3 pm à 3 am, qui débutaient à Kalimera et qui terminaient à la Maisonnée, un coin de rue plus bas, avec des étudiants très ambitieux de commencer leur année

- Les partys de Noël: À tous les 24-25 décembre, il fallait appeler un monsieur qui venait laver le tapis du resto - le fameux tapis - ce qui voulait dire qu'il fallait passer la seule journée de congé de travail ET d'école à tasser toutes les tables et toutes les chaises pour libérer le tapis noir (en réalité bourgogne). Alors que plusieurs célébraient Noël autour du feu de foyer avec du chocolat chaud et des bas de laine, nous on devait faire le gros ménage annuel Kalimera #itsthemostwonderfultimeoftheyear

- Les enfants (nous autres) qui grandissaient, qui changeaient d'école et qui avaient des emplois hors Kalimera (ou l'expérience d'un vrai patron, pas juste ton parent), qui se mariaient et qui commençaient à avoir des petits à leur tour... Le cycle de la vie, quoi!

- La COVID

- Etc. Etc.

Après 22 longues années de hauts et de bas, de prospérité et de marasmes, toute la famille Hurtado ferme ce chapitre et vous remercie pour nous avoir permis de remplir votre assiette, mais surtout de témoigner des moments précieux - anniversaires, retraites, funérailles, mariages, naissances, retrouvailles, baby showers, baptêmes, etc. - avec vous.

À tous les couples, familles, étudiants, gens d'affaires, professeurs, infirmières de l'hôpital St-Mary's/Jewish/MGH/Ste-Justine, pompiers de la caserne 27, touristes qui nous ont trouvé sur Trip Advisor et amis de la famille, on vous dit :